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Et si l'asmr s'exportait

Les frissons ont toujours existé
"In real life", bien avant
leur récupération virtuelle.

Peuvent-ils revenir dans la vraie vie ?

irl?

 

Internet a rendu possible un brainstorming géant. Chacun apporte sa petite contribution pour essayer de retrouver le frisson électrique tant convoité. Les odeurs ne sont pas encore possibles sur YouTube, mais la technologie est déjà assez pointue pour rendre l'immersion plus vraie que nature.

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YouTube peut-il combler tous nos sens ?

 

Les micros binauraux, utilisés par la plupart des ASMRtistes, permettent à l'auditeur le déplacement dans un environnement sonore. Des micros en forme de tête humanoïde existent même, afin d'affiner au mieux la sensation d'espace. Sons à gauche, puis à droite, l'oreille est comblée. Les procédés de captation d'images en 360° offrent, eux, la possibilité de se mouvoir dans l'espace et de devenir acteur dans l'observation de la scène. L'intimité mimée de façon très pro par les chuchoteurs n'en est que plus réaliste.

 

YouTube est aussi un espace où tenter des expériences virtuelles nouvelles. Une plongée sous-marine, une coupe chez le barbier ou encore des morceaux de tomate qui se recollent sous nos yeux… La technologie nous transporte bien plus loin que n'importe quelle expérience matérielle.

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C'est un fait, la plupart des personnes sensibles à l'ASMR disent avoir ressenti le frisson bien avant son baptême officiel sur internet. Cela peut être un son, un geste, ou même une odeur. Une sensation si plaisante qu'elle devient l'objet d'une recherche acharnée.

Les ASMR sont souvent ressentis pendant des scènes de la vie courante. Cette vidéo s'en inspire, en rajoutant une petite touche d'irréalité technologique.

Plusieurs adeptes s'avouent pourtant déçus par l'écoute répétée de vidéos sur la plateforme. Jonathan, 25 ans, est designer sonore et possède une chaîne ASMR. Enclin aux chatouillements auditifs, il reconnaît que la sensation est aujourd'hui beaucoup moins forte quand il regarde des vidéos que dans la vraie vie. « La faute peut-être à une forme d'accoutumance », hasarde-t-il. Il lui arrive d'écouter les petits bruits pour se concentrer ou pour retrouver un sommeil capricieux.


La communauté ASMR, qui s'est constituée grâce à internet, atteint peut-être ici les limites de son petit

monde virtuel. Les mélanges sensoriels y sont moins élaborés que dans la vraie vie, et donc décevants. « Je pense que, dans un premier temps, il va y avoir de plus en plus d'initiatives extra-YouTube », prévoit Jonathan.

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L'ASMR ou le choc des cultures

 

Certaines personnes inspirées ont flairé la tendance. Des publicitaires ont déjà fait leur l'environnement sonore atypique de l'ASMR, telle cette marque de bière suédoise ou cette compagnie américaine de crackers apéritif. Ça n'est pas sans rappeler les bruits d'une fameuse pub Schweppes, qui avait provoqué un petit buzz. Plus audacieux : W magazine, célèbre revue de mode aux Etats-Unis, propose des interviews ASMR à ses invitées de prestige, l'une des vidéos enregistrant quelque 2 millions de vues.

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Dans cette vidéo, Paris ASMR, l'un des YouTubers ASMR français les plus populaires, convie le spectateur sur sa terrasse, en 360°.

C'est à la rencontre d'un tout autre public, non-initié, que pourrait s'aventurer l'ASMR. Un pari tenté, de ce côté-ci de l'Atlantique, par l'artiste contemporain Tal Isaac Hadad. En résidence à l'opéra de Montpellier, le plasticien a entrepris, depuis un an, un travail sur la voix et le corps, dans lequel il convie l'ASMR et ses artistes. Pour lui, la communauté de chuchoteurs en ligne aborde, par le chuchotement, un lien à la voix tout à fait spécifique.


« Ce qui m'intéresse dans l'ASMR, c'est que les personnes acceptent cette connexion à l'écoute, cette confiance

au plaisir que le corps reçoit à travers juste une attention, un mode de narration ou encore l'instrumentalisation d'objets. » L'artiste a fait entrer l'ASMR dans les murs de l'opéra, à travers des représentations scéniques, mais aussi une exposition, dans laquelle le public était libre de circuler, se poser, se détendre, voire dormir, en écoutant la playlist de vidéos constituée pour l'occasion.

 

Une forme de narration vocale qu'il a décidé d'explorer en parallèle de la culture lyrique : « deux langages artificiels ». L'artiste a par exemple « commandé » aux créateurs ASMR de libres interprétations d'extraits d'oeuvres lyriques. « L'ASMR est un format d'écoute surprenant et complètement captivant. La précision de concentration que donnent à voir les gestes de Paris ASMR [qui se produisait sur la scène de l'opéra le 6 mai, ndlr] participe à la sacralisation de l'instant que l'on retrouve dans la musique classique. » Une façon de mettre en regard plusieurs « échelles d'écoute » de susciter des réactions, qui sont alors « tout sauf neutres ».

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Dépasser YouTube


L'ASMR ébruité et popularisé prochainement ? Difficile de dire si le buzz sera pérenne. Pour le moment, les seuls fidèles sont les personnes sensibles à l'ASMR. « Ça m'a beaucoup intéressé de pouvoir fédérer un public juste en posant cette question : si tu ressens cette chose, tu es de fait inclus dans la communauté.

"C'est sûrement le jour le plus bizarre de toute ma vie", chuchote le mannequin Ashley Graham, pas tout à fait à l'aise avec l'exercice de l'interview ASMR.

Je trouve ça très beau », s'enthousiasme l'artiste en résidence à Montepellier. Amener la communauté à l'opéra et l'opéra à la communauté. Le plasticien entreprend de décloisonner un public qui « a beaucoup de mal à s'extraire de YouTube ».


Il perçoit quelque chose de plus derrière les chuchotements et les tapotements, qui aurait vertu à être creusé, tout comme Jonathant. Le jeune designer sonore n'hésite pas à comparer l'ASMR au Groupe de recherches musicales (GRM), pionnier dans la recherche et

la création sonore. « On retrouve des « gimmicks » de création sonore utilisés par ces chercheurs. » L'âpreté en moins. Plus accessible, l'ASMR dispose d'un « gros potentiel créatif pas encore mis en application ».

 

La faute à un manque de connaissances en son ou vidéo de la part des vidéastes autodidactes. Mais Jonathan est curieux de voir comment la pratique va évoluer. « Les premières vidéos ressemblaient déjà à ce qu'on voit aujourd'hui, en moins professionnelles, remarque le jeune homme. L'installation de Dimitri, de Massage ASMR, a par exemple beaucoup évolué. Il a appris des techniques d'enregistrement plus fines, de design son... » Un professionnalisme qui aidera peut-être l'ASMR à se populariser et à s'exporter en dehors de YouTube.

 

Aux Etats-Unis, qui a depuis le début cinq années d'avance sur la France, les prestations ASMR ne sont pas l'initiative d'artistes, mais des propositions émanant de la communauté. Un salon ASMR a déjà vu le jour et la YouTubeuse WhispersRed pratique des séances en direct. Une progression lente, en temps internet, mais une progression tout à fait réelle.

 

 

Clara Delente

Tal Isaac Hadad a invité Paris ASMR à se produire, en octobre 2016, en live ASMR sur la scène de l'opéra de Montpellier, accompagné par l'orchestre symphonique.

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