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Cela ne fait pas peur à Grégory, plus expérimenté que la plupart de ses pairs. « J'ai du matériel depuis que je suis tout petit. Mon home studio a gonflé au rythme des anniversaires et des fiches de paie. Il a muté sur trente ans et j'arrive à une qualité qui est professionnelle. » Deux drones et une caméra 4K lui permettent de se lancer sur des projets un peu fous. Le dernier en date, qui devrait voir le jour courant juin : une vidéo à choix multiples, permise par les dernières mises à jour de YouTube. « Vous partez avec une vidéo, et puis derrière, un squelette d'une trentaine de séquences de 5-6 minutes. C'est vous qui choisissez comment orienter la progression. » Le tout, agrémenté d'une petite morale. Un projet assez éléphantesque, mais que Grégory ne veut pas bâcler.

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Une démarche entière

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Le chuchoteur ne se contente plus de réciter des histoires surnaturelles à la lueur de bougies, il les fabrique, en images. Ses dons de réalisation lui attirent les éloges de toute la communauté ASMR, au sein de laquelle il occupe une place tout à fait singulière. Le générique de présentation de sa chaîne pourrait presque passer pour celui d'une série américaine. « Notre Dexter français a encore frappé ! », s'enflamme quelqu'un dans les commentaires. L'engagement de Grégory est exponentiel. La pudeur initiale a disparu : sa voix, son visage, sa maison sont désormais offerts au regard des internautes. Le temps d'une vidéo, il convie parfois sa fille, son frère ou sa mère. Quand on lui demande dans quelle matière il puise pour faire ses vidéos, Grégory répond sobrement : « Ma vie ».

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Ses murmures détonnent
au milieu des chuchotements lisses quasi-monopolaires
sur YouTube. Grégory a 41 ans, une grosse voix et la langue affûtée.

L'homme qui chuchotait
grave

1m94, une silhouette tout en muscles et en tatouages, une tonsure et une barbe de Viking. La voix, elle, vibre très bas. Un physique peu ordinaire que Grégory honore d'une personnalité hyperbolique. « Je suis très direct, faites pas attention. J'en ai rien à foutre de tout le monde, je fais ce que je sens », annonce le quadragénaire.

 

Un rapide coup d'oeil sur sa chaîne YouTube, « Le chuchoteur ASMR », permet de se faire une idée. Les quelque 70 vidéos postées depuis trois ans ne ressemblent en rien aux vidéos ASMR habituelles. Un univers visuel sombre, des effets travaillés, des thèmes farfelus option mystique. Grégory invite l'internaute au pays des poupées vaudou, des signes du zodiaque ou encore de la numérologie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Parmi les dizaines de vidéos, pas deux pareilles. « Il y a très peu de sujets que je répète. Il faut tenter de nouvelles choses, avec intelligence et style », préconise-t-il, avec son accent du nord de la France. Il n'est d'ailleurs pas très partisan des vidéos « tapping », « scratching » et consœurs (lire encadré). « J'ai toujours eu du mal avec les gens qui reprennent des concepts qui ont déjà été faits », critique-t-il.

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Une histoire de chuchotements

 

C'est en août 2013 que Grégory découvre l'ASMR, avec la Française Amandine Leloup, aujourd'hui disparue de la circulation. « Le débit de sa voix avec son léger accent, c'était intéressant », énonce-t-il. Alors en vacances sur la Côte d'Azur, assis au milieu de la forêt, une vidéo sous les yeux, l'imposant gaillard a une épiphanie. « Je suis revenu presque vingt ans en arrière, ça m'a fait un choc. »

 

Aussi loin qu'il se souvienne, le son et les mouvements ont toujours eu une puissance d'apaisement incomparable sur lui. « Je me souviens

d'une fois où j'étais en colonie de vacances, on était dans une tente. Il y avait de l'orage, et on s'amusait à calculer la distance entre le bruit du tonnerre et les éclairs. Quand un des gosses décomptait les secondes, ça me reposait. C'était bizarre, je ne pouvais pas expliquer ce que c'était. »

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Des souvenirs comme celui-ci, cet explorateur sonique en a plein. « La voix, le débit, l'intonation… C'est souvent ça. J'ai toujours su que certaines personnes avaient la capacité de relaxer, de rassurer. » L'ASMR lui permet de renouer avec ses états involontaires de relaxation. « J'avais toujours gardé ça pour moi, je me disais que c'était peut-être seulement moi... »

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Rendre la pareille

 

Avant l'ASMR, Grégory avait prospecté activement du côté des méthodes de relaxation connues. « J'ai pas attendu YouTube pour m'intéresser à ça. J'ai ouvert des bouquins, rencontré des gens », raconte celui qui se qualifie volontiers de « vieux-jeune ». « Je pense que si vous vous intéressez à la relaxation, c'est qu'à un moment de votre vie, vous avez eu un souci et vous voulez y remédier », lance-t-il. Lui est de nature calme, mais stressée. « J'ai dédié ma vie au travail, j'ai aidé beaucoup de gens et je ne me suis pas aidé moi », confie-t-il.

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Pour celui qui a eu « mille vies », dans l'image, le son, la musique, la nuit (on n'en saura pas plus), l'ASMR est arrivé à un moment où il n'allait pas très bien. Passé par la musique de relaxation, le yoga ou encore la sophrologie, le grand barbu a finalement trouvé l'apaisement à travers les techniques de l'ASMR. L'eau a coulé sous les ponts, puisque Grégory affirme aujourd'hui ne plus regarder de vidéos pour se détendre. Il suit du coin de l'oeil la progression de la communauté, mais s'avoue déçu. « C'est que du vu et du revu », marmonne-t-il.

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Une petite partie de la "quantité astronomique de bouquins"  dont dispose le YouTuber et dans laquelle il puise la matière de ses vidéos.

L'envie de monter sa chaîne, qui lui « est venue comme une envie de pisser », s'est, pour sa part, vite transformée en véritable projet. « Même si je sais que les gens s'endorment souvent avant la fin des vidéos, j'aime apporter quelque chose d'extrême et de travaillé. » Privilégiant la qualité à la quantité, l'ASMRtiste alimente sa chaîne au rythme de croisière. Il réfléchit puis se documente (sa partie préférée), avant de réaliser. Pour une vidéo basique, c'est en moyenne trois heures de travail pur et dur. Une vidéo plus technique peut prendre plusieurs jours.

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Dans ses premières vidéos, Grégory chuchotait uniquement et ne dévoilait pas son visage. La singularité de son univers visuel apparaissait déjà.

Évoquant une fois de plus son âge, comme s'il ne revenait toujours pas de n'être plus un ado, Grégory dit se sentir légitime pour apporter, à travers sa chaîne, pas seulement de la relaxation, mais aussi des conseils. « J'ai vécu certaines expériences de vie. J'ai eu un cancer à 11 ans et je crois que j'ai mesuré la portée de cet événement beaucoup plus tard. » Vers 30 ans, l'idée de sa propre mortalité a germé dans son esprit, et ne l'a plus jamais quitté. L'ASMR lui permet de réfléchir à ces questions existentielles. « On se plante mais c'est pas grave. Il faut se détendre, ça va aller », est le message que Grégory souhaite faire passer à ses abonnés.

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Après trois ans de création de vidéos sur sa chaîne, Grégory estime avoir enfin délaissé l'instinct grégaire et trouvé son style. Un style qui nécessite néanmoins des drones et du savoir-faire.

L'ASMR permet d'effectuer ce pas de côté. C'est une pratique de « marginaux », qui essaient d'amener l'internaute à raisonner différemment. « Si vous avez mal à la tête, aujourd'hui, on va vous donner un médicament et vous faire faire un scanner le lendemain. La réflexion de ceux qui font de l'ASMR, c'est de ramener les gens à une pratique beaucoup plus basique et minimaliste », résume-t-il. Sons, images, odeurs… Une invitation simple à se laisser porter par le plaisir de sentir et de partager.

 

Un partage que Grégory souhaiterait pousser encore plus loin. À plusieurs reprises déjà, il a essayé d'organiser des rencontres avec ses abonnés. Les tentatives n'ont pas été concluantes, mais le vidéaste reste déterminé. Il projette par exemple d'organiser un salon de relaxation ou un voyage avec les volontaires. Le YouTuber reçoit souvent des messages de remerciement. La petite niche bienveillante qu'il s'est ménagée au creux d'une pratique elle-même de niche lui convient parfaitement. Un peu plus de 17000 abonnés : ni énorme ni ridicule. Faire du bien lui fait du bien et fonctionne comme une sorte de thérapie pour lui. « Je suis quelqu'un d'extrêmement froid, à la base. A travers cette chaîne, je me suis aidé, j'ai évacué certains démons. » Par la force de sa voix.

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Clara Delente

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