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Qu'en pensent les pros ?

La science commence tout juste
à s'intéresser à l'ASMR. Des hypothèses sont émises outre-Atlantique. Comment
le phénomène est-il perçu en France ?

Vincent Mignerot, psychologue et chercheur en neurologie

"J'ai déjà ressenti des sensations proches de l'ASMR, comme des frissons très chargés émotionnellement qui traversent tout le corps. Les vidéos n'ont en revanche pas vraiment d'effet sur moi. Mais vu l'engouement des gens, qui dépasse le simple effet de mode, et l'intérêt grandissant de la science pour l'ASMR, je suis convaincu que c'est bien quelque chose de réel.

Je ne suis pas sûr que l'ASMR soit comparable à une synesthésie. Il faudrait que la sensation tactile et la source sonore correspondent l'une à l'autre selon un alphabet très strict. Or, il me semble que l'ASMR est un phénomène générique, assez similaire d'une personne à l'autre. Évidemment, l'audition peut avoir un effet sur le corps et générer des sensations tactiles comme des frissons et des vibrations. Mais j'ai l'impression que l'ASMR contient une charge émotionnelle, qui n'existe pas dans une synesthésie, qui est un processus tout à fait neutre.

Je rapprocherais plutôt l'ASMR de pratiques comme la méditation, la relaxation ou l'hypnose. Comme une sorte de fonctionnement brut du corps, où il s'agit d'annihiler tout ce qui est de l'ordre de l'attention et de la maîtrise. Atteindre cet état de détente particulière permet à l'émotion de s'exprimer."

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Sandrine Bocquet, sophrologue

"Je trouve les vidéos très spéciales. Je suis assez méfiante de toutes les pratiques amateures. Après, il y a une grande part de subjectivité. Il faut au préalable s'être laissé convaincre pour que le processus mental fonctionne. Pour ma part, je n'y suis pas très sensible.

L'ouïe contribue beaucoup aux mécanismes de détente. En sophrologie, on utilise énormément les cinq sens. C'est ainsi que l'être humain fonctionne, avec ses cinq sens. L'audition domine sur les autres sens pour une grande partie de la population. La vue et le mouvement sont également importants. Ça explique sans doute la popularité de l'ASMR, qui mettent l'accent sur les sons, la vue et la gestuelle.

Les vidéos me font penser à de l'hypnose. Elles semblent faire entrer dans un niveau paradoxal d'éveil. Dans cet état de conscience, l'inconscient n'a pas plus de 7 ans, il a besoin d'être rassuré. D'où la posture maternante des YouTubers. Mais cette parenté avec l'hypnose pose question. Il ne faudrait pas que les vidéos soient manipulatrices. D'autant plus si les personnes qui les regardent sont en position de vulnérabilité. Mais bon, c'est peut-être comme pour les ostéopathes ou les sophrologues qu'on a pris au départ pour des sorciers... Il faut voir ce que l'ASMR peut donner dans 10 ou 15 ans."

Pierre Lemarquis, neurologue et neurophysiologiste

"Je pense qu'on a tous plus ou moins ressenti des ASMR pendant l'enfance. C'est juste qu'en vieillissant, on se laisse moins aller à ce genre d'expériences et on perd la sensation. Ce n'est pas un phénomène rarissime, contrairement à la synesthésie. Les adultes qui continuent d'être touchés sont sans doute des personnes plus portées sur l'imagination, plus ouvertes à la suggestion.

Le son est une vibration, on le sent à travers la peau. L'oreille est un récepteur au tact qui s'est surspécialisé. Il n'est pas étonnant que l'ouïe provoque des sensations tactiles. Il y a bien des sourds qui font de la musique. L'audition comporte à elle seule plus de cellules nerveuses que tous les autres sens réunis ! La médecine ne s'y était pas trompée, et s'est depuis toujours intéressée à l'ouïe. Mais, après le milieu du XVIIIe siècle, nous avons perdu de vue son importance dans le corps humain.

Des petits tests, faciles à faire, vont assurément se développer. Les effets thérapeutiques suffiront à ce qu'on s'y intéresse. Souvent, les grandes découvertes scientifiques ont été faites par des personnes qui étudiaient des choses un peu bizarres. Il serait utile d'accorder plus d'importance à toutes les petites choses qui nous donnent du plaisir sans

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qu'on sache pourquoi. Tout comme Amélie Poulain qui aime casser la croûte de la crème brûlée, ça n'a l'air de rien, mais ça mérite qu'on s'y attarde. Ca éviterait peut-être d'avoir recours à certaines médications plus fortes.

Avec la musique, on sait déjà toutes les bonnes choses que sécrète le cerveau : dopamine, ocytocine, sérotonine, ou encore adrénaline. Au vu du frisson qu'ils provoquent, je suis quasi-sûr que les ASMR sont une réponse à la sécrétion d'endorphine. Il y a sans doute une action sur le circuit du plaisir et de la récompense, dans les régions profondes du cerveau. Et je pense que l'empathie joue également un rôle important. Il y a certainement un neurone miroir qui entre en jeu, car il faut être capable de s'imaginer presque à l'intérieur des vidéos, à la place des personnes qui se filment en train de faire telle ou telle chose relaxante."

Michel Larroque, philosophe et psychologue

"Je me souviens qu'il y a trois ou quatre ans, je parlais à un ancien élève de relaxation, et il a évoqué un souvenir que j'interprète maintenant comme des ASMR. Il disait que le crissement du râteau du jardinier sur les graviers provoquait chez lui une sensation d'euphorie et d'apaisement tout à la fois. Je n'ai jamais ressenti une telle chose.

Je pratique la relaxation depuis mon plus jeune âge. Une forme en particulier : la méditation transcendantale, qui consiste en une sorte de répétition passive d'un refrain ou d'une formule. Il s'agit de s'abandonner et de se concentrer tout à la fois sur un rythme musical. Dans l'ASMR également, il faut se laisser porter par la sonorité, mais pas de la même façon. La notion de répétition est absente, on peut passer d'une vidéo à une autre, et découvrir de nouvelles narrations.

C'est pour cette raison que j'ai du mal à en percevoir le but. À travers la relaxation, je poursuis un objectif clair : je cherche à maîtriser mon émotivité dans des situations perturbantes et à récupérer rapidement. Le laisser-aller, la détente sont un moyen et non une fin pour moi. Dans l'ASMR, le sommeil et la détente semblent la fin en soi. Cela me laisse perplexe."

Propos recueillis par Clara Delente

Nicolas Demagny, hypnothérapeute

"L'hypnose se développe lentement en France. Il existe encore une certaine méfiance, mais la pratique se démocratise en médecine. Les anesthésistes l'utilisent de plus en plus, et certains psychiatres s'en servent dans le cadre de leurs consultations. La difficulté aujourd'hui, c'est que n'importe qui peut s'auto-désigner hypnothérapeute car il n'existe pas de régulation. Or, l'hypnose n'est pas recommandée pour tout le monde. Elle peut s'avérer dangereuse, notamment sur les personnes souffrant de troubles bipolaires ou schizophrènes.

C'est un accompagnement, par la parole, dans le but de se reconnecter à soi-même. L'accent est mis sur les sensations corporelles et fluides pour entrer dans un état modifié de conscience. L'ASMR semble produire un état un peu similaire, mais plutôt avec un but de développement personnel. L'hypnose va au-delà de la simple réaction, et cherche à résoudre de véritables problématiques comportementales, émotionnelles ou traumatiques.

L'ASMR peut paraître étrange, mais pourquoi pas... Ca fait partie des approches qui sont développées aujourd'hui. La seule réserve que j'émettrais, c'est que l'ASMR, en provoquant une sorte d'état modifié de conscience, pourrait générer, à cause de la répétition systématique des bruits, des crises d'angoisse ou déranger les personnes épileptiques. Même si les bruits utilisés sont simples, l'esprit, quand il est dans cet état, peut associer ces sons à autre chose."

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